RELATIO

Dernier volet
15 min _nov. 2007 - janv.2008
coul. _mini dv








Déambulation dans l’église de Saint-Bris-le-Vineux (Yonne):
Lecture des vitraux Renaissance (ca. 1515).
L’ardeur des enfants pendant la récréation réinjecte la dimension affective dans ces verrières historiées.
Le vacarme porte la violence sous-tendue dans les images.
Jeu des relations entre les personnages, leurs regards et postures.


Di. 23 septembre 2007
Notes

« « Relatio » est le titre naturel suivant les deux autres :
« Exspectatio », « Consolatio » pour former la série en triptyque.
Je n’avais d’abord pas le contenu de ce troisième volet, du moins
le désir de filmer les vitraux de Saint Bris existait déjà, depuis le 29 août que je les avais vus, qu’ils m’avaient prise. Mais ce désir
de les filmer ne se superposait pas encore à ce troisième volet titré, mais vacant, en attente de son contenu. Ainsi, la lecture des vitraux : se mesurer aux vitraux, à la légende des saints, lire ces images traversées de lumière.
Les deux premiers volets étaient : lire la lumière sur la nature,
sur les micro-paysages traversés par de petits événements sensibles dans une hyper-perception.
Se mesurer à de petites choses.
Les vitraux dans l’église du XIIIème siècle consacrée à Saint Côt
et Saint Prix, à Saint-Bris-le-Vineux (Yonne, Auxerrois), me placent
dans une relation d’intimité à l’image que l’on n’a pas dans les ca-
thédrales, par exemple. Je ne suis pas écrasée par les baies vitrées découpées et colorées. La pierre est claire, l’architecture fine du go-
thique, une église pleine de grâce. Les couleurs elles-mêmes des verres dans les jaunes, les rouges, peu de bleus, dans une grande clarté me laissent respirer et m’inspirent. Ils m’inspirent le silence, me subordonnent doucement à regarder comme on se recueille.
Ce n’est pas un spectacle que je regarde. Je participe à la lecture,
je lis comme une prière en murmures. Je ne récite pas un dogme, j’apprends à lire ce qui m’est donné à voir. Il y a quelque chose qui me bouscule dans cette lecture, peut-être va jusqu’à me bouleverser. C’est comme cela, dans l’expérience de lire, de découvrir (retirer
le voile : révélatio : filmer c’est retirer le voile. Le film à la surface des choses, le lire) que j’envisage cette « relatio ». Il se passe quelque chose avec. Au sein du lien, dans le lieu où je lis quelque chose advient dans ma lecture. Délier, dé-lire. Délire.

Il y a aussi une ex-citation à filmer / lire. Mesurer cette excitation dont la lumière est le véhicule. Lui donner une dimension sensible. »




Ve. 12 octobre 2007
Notes

« Hier, j’étais à Saint Bris
et ai filmé les vitraux.
J’ai d’abord été déstabilisée, mal à l’aise car
la lecture est loin d’être linéaire, il n’y a pas l’unicité narrative comme l’ensemble des vitraux consacrés à l’épopée de Jeanne d’Arc à Orléans.
Valérie m’a expliqué le sens de déambulation dans l’église ;
la présence d’une source souterraine non loin des fonts baptismaux.
J’ai filmé longtemps et tout ce temps (plus d’une heure) ai douté.
Je me suis trouvée en défaut. Je n’ai pas senti d’événement particulier venir briser ma lecture somme toute monotone. Sans surprise. Sans cesse l’incertitude. Une forme d’absence de foi, d’apathie. La sensation de ne pas parvenir à être présente au geste de filmer, au regard, au voir. Un peu somnambule et sans désir, plus errante que jamais mais hors exspectatio. Je ne voyais rien venir sans attendre rien. J’ai le sentiment d’avoir usé mon regard, dépensé mon énergie à perte. Ma faible énergie comme déjà presque tarie. Lire mécaniquement sans mémoriser, absente à la lecture. J’ai trop filmé, trop longuement.
Ce ne sera donc pas un doublon de « Jehanne mise en abîme ».
« Relatio » interroge l’absence, le lien, s’il existe. La foi. Si elle a lieu.




Ce volet est le désenchantement du triptyque.
Bien qu’il s’agisse de vitraux, de lumière et de couleurs, le filmage me semble désenchanté. J’en suis la première déçue.
Est-ce qu’un montage sera en mesure de revigorer la lecture, de remédier à la carence ?
Peut-être la caméra a-t-elle enregistré malgré moi, sans que je l’ai vu dans le temps présent à la lecture, un événement, un événement même répété qu’il me faudrait découvrir après m’être reposée de regard et d’esprit. Laisser travailler en moi l’expérience d’hier qui me semble râtée, non avenue.
Quelque chose pourra encore advenir, peut-être, issir de la matière des images enregistrées.
Il y aura donc un montage.
Je regarde en face l’insatisfaisant. Tailler dedans, extraire. Quand la force drainera à nouveau ma volonté. Taire des passages. Peut-être donner son temps au taire, le matérialiser. Annuler du voir, le sertir dans des silences. De « relatio » à « silence ».
Ainsi il y aura des noirs, des plages de noir.
Comme des moments libres d’images. Des espaces où laisser retentir la pensée rêvée, rêvante.
Des images dans le cosmos.
Un film n’est justement pas le bourrage d’images dans le crâne. L’outrecuidance, la démesure, l’usage des images comme d’un pouvoir autoritaire, totalitaire. Non pas.
Mesurer.
Revenir à la mesure du regard, au temps qui s’installe, à la respiration entre les séquences, au rythme, à la souplesse. Laisser passer la lumière en ménageant des noirs.
Isoler des fragments dans le noir.
Et pour ce faire, casser la lecture d’hier, mon filmage, le briser.
Que les éclats des vitraux constellent la matière noire du regard. »




Notes entre les 25 nov. & 1er déc. 2007 :

« Dimanche 25 novembre ai réalisé le montage de « Relatio ».
J'ai finalement axé mon choix sur les vitraux consacrés à Saint-Philibert et à Sainte Rayne, réalisés vers 1515, Chapelle sud.





Je pense parvenir à réenchanter ce volet du triptyque par
la rumeur des enfants de l’autre côté des verrières.







Les cris. Les rires. Les pleurs ravalés.
La rencontre de cette explosion de vie dans une cour d’école invisible, avec les couleurs,
les violences racontées par des images qui nous paraissent aujourd’hui enfantines.
La force rouge qui tue.
Les corps couchés. La torture.
La mise à mort par décapitation. La lecture.
Le jeu des relations entre les personnages, leurs regards.

Le triangle des regards,
du souverain et de son cheval sur Ste Rayne. Elle, le regard posé sur le livre sacré. Elle lit, entourée de ses moutons dont un, comme un chiot se dresse sur ses pattes arrière et pose
ses pattes avant sur la cuisse de
sa maîtresse, sans parvenir à la distraire de sa lecture. Rayne reste imperturbable. Le regard du cheval, très doux envers
la demoiselle Rayne, est le médiateur du désir du seigneur
qui le chevauche.

Les verrières historiées parlent de violences.
Aussi bien celle du désir que celle du refus. De la révélation et de la résistance.
Des liens qui se font et se défont.






L’ardeur des enfants pendant la récréation réinjecte la dimension affective dans les images des vitraux. Le vacarme soutient la violence sous-tendue dans les images.





Le mouvement de la caméra la restitue, en donne une interprétation, la déloge de la légende-historiette. Le filmage et le son réinjectent sensiblement le sens original des vitraux qui était de représenter les relations mystiques et humaines.
Un filmage affectif.
« Je filme avec mon corps » veut dire que j’interviens avec mes affects. Corps intermédiaire de la filmeuse, médiateur, véhicule de l’affect. C’est le « transport » que je défends.




Pour Ste Rayne lire la Bible est un choix, un acte politique. Comme elle refuse d’exaucer les avances du souverain de se soumettre à son désir, elle est torturée et mise à mort. Mais rien ne la distrait de son choix spirituel.
Elle pourrait lire « Le miroir des âmes simples & anéanties et qui seulement demeurent en vouloir et désir d'Amour » (imprimé en 1290) de Marguerite Porete qui fut brûlée en 1310 par l'Inquisition suite à ses écrits mystiques.





Avec une pensée particulière
à Saint Augustin,
Jacques de Voragine
& Pascal Quignard. »
S.T.





Merci à Francis Azémard, Bernard Béraud,
Valérie Châtelin
& le Curé Jean-Marie Rigollet.


Notes du 5 janv. 2008 :

« Aujourd’hui, ai coupé le son du plan de la première entrée dans l’église. Le son suspendu. Cette introduction dans le lieu en silence rappelle l’univers du rêve. L’artificialité, la fabrication de l’image vue en rêve. La dramatique porte davantage, accentuant le parcours dans le lieu. Sa découverte tendue dans le geste du filmage, dans la marche rythmant le filmage. Un rêve : un souvenir d’images insonores.
Puis le film semble flotter encore au commencement de la lecture des vitraux. Et à un moment, grâce au son des rires des enfants, mais pas seulement, le film « prend », fascine. J’ignore à quoi tient cela. La répétition de la lecture, sa reprise, tout aussi bien la réécriture d'une phrase sous divers angles, dans des approches variées, par glissement — comme en musique répétitive —, tâtonnements, expérimentations, doit participer de cette prise progressive du regard — et de l'ouïe ; là, le mot « regard » correspond au concept englobant de la perception particulière au cinéma : être dans le bain du film.
Ce dernier volet met aussi en scène le suspens, l’exspectatio. D’une autre manière : passant du lieu à l’image bidimensionnelle. Celle-ci garde en elle le souvenir de la perception d'un lieu, impressionnée par l'ambiance sonore qui se dégage depuis l'autre côté des verrières. »

Extrait de la lettre à Pascal Q. écrite le 29 août 2007 à Noyers-sur-Serein

« J’étais à Saint-Bris-le-Vineux today, Anne a conduit, nous sommes allées chercher et goûter des vins à Irancy puis Saint-Bris. Là, nous sommes restée longuement à contempler l’église merveilleuse avec ses vitraux proches de nos corps. Des grisailles, 4 baies de grisailles, Je n’en n’avais jamais vu je crois. J’ai vu l’orgue et même entendu, vous savez sûrement, un des dix particuliers en France, le facteur était là, il jouait fortement. Et vu le soufflet à bras ancien d’un autre orgue. Ce sont les vitraux qui m’ont retenue, j’aurais pu rester encore longtemps, c’est toujours trop court. Je me suis fait lire le vitrail de saint Philibert et de sainte Rayne par la gardienne de cette merveilleuse église. Elle m’a lu les lancettes, j’ai compris la force représentée en rouge comme une explosion qui tua les moines malveillants. Sainte Rayne était très belle et se refusant à un seigneur (gouverneur) païen celui-ci la martyrisa, lui arrachant les ongles à l’aide de pinces, entre autre, et la brûler, les seins nus, avec des torches. Comme elle ne trépassait toujours pas, lui coupèrent la tête, et son âme élevée entre deux colombes sous la forme d’une figurine féminine, une petite bonne femme nue, la tête à terre, le corps vêtu d’une robe rouge. J’ai reconnu que saint Philibert empruntait à Saint-Benoît son histoire. Et à Sainte-Lucie cette Sainte Rayne, d’après ce que j’ai lu de Voragine. Finalement, je m’en souviens, en suis toute étonnée. Ces vitraux à Saint-Bris, l’église dédiée à Saint Cot et à saint Pris (dont les reliques de Saint Cot sont présentées, comme j’ai souri et ri, j’adore voir ces morceaux d’os dans leur mini-châsse en verre, le velours, la poussière, le petite vitre, et ces os réels, quoi ? je devinai une articulation, comme un morceau de clavicule ou alors un morceau de bassin ou l’os du fémur s’articulait. Et le tombeau de ce saint Cot qu’il ne fallait pas toucher, prière, et dont ce cercueil original avait le flanc éventré…). Il y avait aussi la fresque de l’arbre de Jessé sur un pan de mur traversant le chœur. C’était un peu humide, la surface de la fresque, encore fraîche, toujours fraîche. Mais je suis revenue aux vitraux, j’étais intriguée par la narration, intéressée à percer le mode de lecture, à découvrir de quel Saint, par quel attribut le reconnaître. J’aurais aimé avoir des jumelles et étudier vraiment, fondre mon regard entre les plombs, voir le dessin des grisailles. J’étais dans l’enfance. J’aime ce côté balbutiant de l’art, ces trouvailles inventives dans la manière de « découper » les corps pour assembler les petits bouts de vitre peints pour que la lumière frappe. La plasticité de cet art, le glissement impromptu et si frais dans le chois des formes pour le puzzle. Je regrette de n’y pas être encore, de ne pas y retourner pour approfondir et percer d’autres secrets plastiques qui révèlent une manière de pensée qui me touche profondément. J’aurais aimé comprendre comment, par quel biais…
En sortant de l’église, de la fenêtre d’une maison donnant sur elle, quelqu’un nous a interpelées du premier étage, c’était un transsexuel , un home vivant, étant comme une femme nous disant « mes belles dames elle est belle l’église, hein, » en secouant un chiffon. En arrivant, avant d’entrer dans l’église, j’avais remarqué au rez-de-chaussée de cette maison le son hyper-fort d’une télévision.
Ce qu’on doit s’emmerder, tout de même, ai-je pensé… Il avait l’air nerveux à sa fenêtre. En fait, sa maison est habitée par cette nervosité anxieuse. À côté de l’église si en paix, elle contraste. Si j’avais été seule, j’aurais écouté parler ce transsexuel à la fenêtre. Je l’aurais laissé développer devant moi son hyper-expressivité. J’aurais dit oui, c’est une église merveilleuse que vous avez pour voisine. Peut-être qu’on aurait parlé des vitraux et qu’il/elle serait descendue pour les revoir ensemble. »