CONSOLATIO

Second volet
45 min. _nov 2007
coul. _mini-dv






L'image se cherche elle-même. Caméra à la main, débusquer les grâces de l'optique cachées dans le lieu. Les bruits, les lumières, les eaux, la durée s'ajustent au fur & à mesure des métamorphoses.me, je la montre se cherchant. Elle se trouve. De petits chaos en révélation photographique.










LETTRE à Pascal Q. :
« Noyers, la Baignade, je. 16 août 2007
13h40

Bien cher Pascal,

Je suis dans un effroyable repli. Suis lente et ne
veux plus agir que lentement. Je ne désire plus parler et
soliloque à l’intérieur. Je sens le revers de mon visage,
sombre, et qui ne se voit pas.
Mes cheveux forment un filtre dans le vent, un voile
répondant aux arbres sur l’autre berge, ceux de la
couleur de l’orage. À cette heure l’angle entre
eau et berge est noir. Ce serait le moment pour
le filmer, lire la phrase dans le courant opposé
au Serein.
Hier matin, j’ai porté son petit déjeuner au lit
à Madame de Noirmont qui désirait se rendre
à la messe de 9h30. Ses longs cheveux blancs détachés,
sa poitrine maigre, ses épaules squelettiques dans
la chemise devenue grande. Elle était ravie d’être
ainsi réveillée. Elle m’a demandé à son réveil,
alors, si j’avais déjà accompagné des gens à mourir.
Et quelque chose comme, abruptement : « Qu’est-ce
que vous pensez de la mort ? » J’étais ébahie
par la violence matinale de cette question. Je ne
sais plus ce que j’ai répondu, au juste, que j’avais songé
au suicide, que vivre s’est s’acheminer vers elle,
en faire une amie plutôt qu’ennemie, de belles
paroles. Que j’y pense depuis que je pense.
Elle m’a dit ne pas être étonnée que j’ai pensé au suicide.
Elle m’a demandé pourquoi je ne vais pas à la
messe et j’ai dit que Dieu pour moi ne se montre
pas en collectivité ni en un temps précis, ni en
un lieu aussi rigide que l’église.
Mais enfin, en me promenant l’après-midi, trois
heures de marche, c’est surtout l’absence de Dieu
que je perçois chaque jour, avec désarroi. La foi
est perdue pour moi, en suis-je nostalgique ?
En tout cas, la fadeur ne me quitte pas. Cette nuit
ai fait un mauvais rêve, assez morbide.
L’après-midi, j’ai voulu reprendre la discussion du
matin avec Madame de N. mais elle n’avait déjà
plus les mêmes dispositions. Elle a voulu quérir des
cigarettes, le 15 août, et pour la première fois m’a
emmenée en voiture jusqu’à Puits de Bon. Elle roule
au milieu, de quoi craindre l’accident. Je lui ai
dit de se rabattre à droite. Elle s’agaçait. Soudain,
elle a dit : « Oh ! regardez, un cerf ! » Et celui-ci
rouge dans la terre rouge portait une très belle
ramure, il courait gueule ouverte comme si nous
étions à un safari, nous sur la route. La couleur
de mon sac est la couleur de ce cerf.
J’espère que madame acceptera la proposition d’une
de ses voisines de nous emmener à Pontigny dimanche
voir le concert de Jordi et Montserrat, puisqu’elle a
aussi réservé. Le tout est de présenter l’offre de manière
à ce que Madame de N. ne se sente pas diminuée,
ni remise en cause dans sa capacité à conduire.
À notre retour j’ai fait un thé et elle m’a parlé de
la mort de son frère Loïc qui s’est produite en avril 2006
dans la même semaine que son mari François. Elle
a eu les larmes aux yeux. Son frère Loïc, elle l’a
aimé plus que quiconque.
J’ai écouté. Le soir, elle m’a posé des questions sur
mes vidéos-films. J’ai réfléchis tout haut pour lui
expliquer ma manière de prendre, recevoir
sans diriger. Pour filmer il faut un désir violent
de capturer du réel. Il faut ce désir indiscret.
L’indiscrétion discrète est peut-être ma manière.
Cela je le pense et l’écris maintenant avec vous qui le lisez.
J’avais parlé du « banquet frugal » à « mon » psychanalyste
Paul Fuchs, rue de Seine, en 2002. Une « scène » reprise
dans Licorne 31, où seule la lumière sur les objets d’une
table dressée est à manger. J’ai l’impression d’être encore
attablée à ce banquet de lumière mais je n’ai même pas
envie de goûter. Et si j’écris qu’un martin pêcheur
bleu surnaturel vient de filer au-dessus du Serein
je n’en éprouve pas la beauté, un fait sans émoi.
C’est stupide : je sais que c’est beau tout autour de
moi mais il me semble que rien ne me touche.
Que tout pleure en moi en silence invisiblement.
Qu’il y a un écran entre moi, ce moi intérieur
en repli et le reste simple et beau, multiple dans
les lumières, les éclaircies et le vent. Je suis coupée
de l’extérieur et mon plexus solaire est affaibli.
Le pare-excitation dysfonctionne. Ai très envie de
dormir et vais quitter la Baignade puisque
d’autres cyclistes s’y aventurent. »


EXTRAIT DE LA LETTRE à Pascal Q. du 25 août 2007 :

« Suis allée en Églars et ai filmé. Un ou deux nouveaux exspectatio, dont une toile d’araignée : je ne dis rien en nommant ainsi ce qui fut métamorphose de la lumière sur un mince écran de fils, un voile devant les reflets d’eau. Comme sur quelques centimètres carré la caméra, la chambre du regard se laisse impressionner, la durée ne se mesure plus avec le temps usuel, autre chose est investi, la répétition est affectée, la couleur varie insensiblement, insensiblement j’écris le passage de la caméra-regard. Tension dans le passage,
mon balayage. Quelque chose est en jeu. Enjeux d’atteindre
ce qui recule quand je l’approche. »






NOTES du sa. 10 novembre 2007 :

« Hier, Porte 34 a vu naître le montage de « Consolatio ».
Durant le mois d’août dernier, j’ai été Dame de compagnie, Auxiliaire de vie auprès d’une personne âgée, en Bourgogne. Pour les 2-3 heures de pause quotidiennes, j’enfourchai le vélo tous terrains et retrouvais, 20 minutes plus tard, le lieu merveilleux qui fut mon refuge, mon aire de repli. En Églars, est son nom, au bord du Serein. Des îlots sur cette rivière aux nombreuses courbes, les pierres d’une bâtisse en ruine, qui fut un moulin. Les racines déjointent les pierres, font doucement s’écrouler les murs. De ce lieu resté ensauvagé j’ai voulu rendre compte ; mon lien à ce lieu. Comme sentir ma taille, me mesurer à celle du grand chardon, le « cabaret des oiseaux » dont on ne peut faire le tour pour le filmer sans se prendre les pieds dans des trous, s’emmêler les jambes aux végétaux follets.
Filmer, c’est comme lire « Les Confessions » de Saint Augustin :
les aveux fautifs, les hésitations, les repentirs, les obstacles sont dépeints dans ses récits avant de parvenir à l’harmonie et au plaisir (pour Augustin, à la Foi, à la Grâce divine : à la prière qui est un poème).
L’image se cherche elle-même, je la montre se cherchant ;
elle se trouve.
De petits chaos en révélation photographique.
Caméra à la main, débusquer les grâces de l’optique cachées dans les lieux. Le lieu étant un ensemble comprenant les bruits, les lumières, la durée etc…, le tout s’ajustant au fur et à mesure des métamorphoses.
J’observe et enregistre ces métamorphoses.
Je donne à voir ce que j’ai contemplé.
Prendre le temps de la perception c’est accéder à du micro-perceptible. »



Ce qui pourtant donne aussi comme je l’approche. Une autre séquence semble donner un ciel romantique quand il s’agit de l’eau. Les herbes semblent la découpe d’un relief. Je fais de la photo-
graphie ; simplement le mouvement et la durée sont introduits,
mais comme en photographie c’est la lumière qui conduit mes images, c’est elle que je suis, elle me dicte, me susurre doucement, comme on recopie des lettres et des mots sans encore les compren-
dre, petit, sur les lignes d’un cahier. Une capture souple qui peut durer longtemps. Sauf que je ne recopie rien, qu’il n’y a pas de ligne, pas de rail, pas de cadre pré-établi, pas de règles définies.
Pas de cahier. J’invente les repères de l’image en filmant, elle s’auto-nomme. Je la suis. Je cesse de filmer quand mon regard décroche, si plus rien ne bouscule la lecture, si elle ronronne
et ne s’invente plus.
Sur les 55 minutes prises peut-être 15 sont de réels “exspectatio“.
Lettres érotiques : films érotiques (filmages, séquences). Zones érogènes : écrire, filmer. Les exspectatio sont des zones érogènes dont je découvre l’existence en filmant ce grand corps du lieu excitant. Ce fut “La Sourdaie“ de mon père. Et là en Églars à Noyers. C’est-à-dire un coin sauvage avec ses îles, une aisselle du Serein
(la rivière).
Voilà à quoi s’occupe ma chasteté. »




EXTRAIT de « Abîmes » de Pascal Quignard, CH XXXVIII Praesentia,
p. 119 :

« Le temps comme dimensio est le deuxième temps comme distensio. Le temps devient ce lien continue qui permet d’unir des événements ou des objets que la distension a désunis ou que le langage a divisés puis opposés.
Le temps comme liant répond à la frustration biologique dans la vie atmosphérique. Il s’acquiert comme une distance plus ou moins calculable entre le besoin ou le désir et la récompense ou la jouissance. Capere veut dire prendre. Ceptio ou capture plus vaste pour ce prédateur imitateur de prédateurs qu’est l’homme. La per-ception puise dans la déception de ce qu’elle vise à l’aide de l’anti-cipation. Il s’agit toujours d’une prise, d’une main qui tient, qui aggrippe, qui serre, qui retient. Il s’agit toujours d’une main-tenance. »



24-25 sept 2007
NOTES :

« Paysage à l’échelle des orties. L’eau devient un ciel orageux ou dans le mouvement tourmenté d’un coucher de soleil. Romantisme.
Se mesurer aux plantes. Je lis Saint Augustin.








Le pétale tournant sur lui-même : « Éloge de l’ombre » de Junichiro Tanizaki.



Les chardons blancs. Cette séquence entre en correspondances avec des poèmes de Saint Jean de la Croix. Et la peinture à l'huile et tempera sur panneau 51 x 38 cm « Saint Jérôme pénitent » de Piero della Francesca (Berlin, Staatliche Museen, Gemäldegalerie), parce que le paysage est une rivière dans laquelle se reflètent les troncs des arbres. Le paysage de ma séquence : le rang des peupliers indiquent la bordure de la rivière, le Serein. À cause aussi de la monotonie de la lumière : le côté ingrat de la lumière, sans relief, pâle, uniforme.
En filmant je me sentais privée de la lumière consolatrice. Ce qui fait que j’ai cherché autre chose dans l’image : la présence du paysage en relation avec la plante. »